Une mosaïque d’Avenches en cours de restauration
Sophie Bärtschi Delbarre
La mosaïque Jaune, qui tient son nom de la prédominance de cette couleur dans sa composition, a été découverte lors de deux fouilles, en 1895 et en 1972. Elle est en cours de restauration, avec le soutien financier de l’Association Pro Aventico, en vue de sa présentation dans un futur musée.
La mosaïque décorait une maison de l’insula 23 Est, située à proximité du forum et non loin des thermes de Perruet. La demeure occupait la partie nord-occidentale de l’îlot, donnant au nord sur la voie principale de l’agglomération (decumanus maximus) et à l’ouest sur une ruelle séparant l’insula en deux parties inégales, la seconde étant occupée par un édifice public jouant probablement le rôle de siège de corporation, d’archive ou de bibliothèque. La maison, dont le plan n’est connu que partiellement, a été fouillée d’une part en 1895, puis à nouveau en 1972. Chacune de ces interventions archéologiques a touché la pièce décorée de mosaïque, révélant une première partie du décor à la fin du 19e siècle, dont deux panneaux seront prélevés, et un secteur vraisemblablement différent de la pièce en 1972, mettant au jour une seconde partie du pavement. Six nouveaux panneaux seront alors récupérés, offrant une vision plus complète des motifs. La mosaïque a fait l’objet d’une étude en 1989 par Serge Rebetez dans le cadre d’un mémoire de licence de l’Université de Lausanne, qui a permis de proposer un dessin de restitution du pavement et donné l’occasion au laboratoire de conservation-restauration du Musée d’Avenches de procéder à une première restauration des panneaux.
L’œuvre d’un atelier local ?
La mosaïque, qui recouvrait l’ensemble du sol d’une pièce mesurant 9,5 × 4 m, présente une composition géométrique relativement complexe, dessinée en noir sur fond blanc, constituée d’une alternance de cercles et de croix fuselées déterminant des hexagones concaves. La bordure du pavement, de même que les formes géométriques décorant les deux extrémités du sol, se caractérisent par un jeu de couleurs faisant alterner le blanc et le jaune, divisant les cercles en quatre et les hexagones en six parts égales. Au centre de la pièce, le schéma reste identique, mais les formes géométriques sont cette fois décorées de motifs floraux stylisés, dont les pétales prennent des formes variées. Les couleurs utilisées pour les dessiner sont non seulement le noir, le jaune et le blanc, mais aussi le rouge. L’organisation du décor, mettant l’accent visuel sur le centre du pavement, donne peut-être un indice sur la fonction de la pièce. Il pourrait d’agir d’une salle à manger double, dont les meubles (lits de table) auraient occupé les deux extrémités de la salle.
Cette mosaïque s’inscrit parfaitement dans la tradition des décors d’Aventicum et du territoire helvète datés de la seconde moitié du 2e et du début du 3e siècle après J.-C., mais aussi plus largement de ceux des provinces de Gaule et de Germanie de la même période. Caractérisés par des trames géométriques très diverses, les espaces déterminés par les compositions sont ensuite agrémentés d’éléments ornementaux, de motifs de bordures, de fleurons stylisés, et, pour les plus riches, de scènes figurées avec des animaux ou des personnages. La mosaïque Jaune montre cependant une particularité spécifique à la région d’Avenches. Le mosaïste a en effet employé ici une grande quantité de tesselles en calcaire du Jura, créant une prédominance de jaune dans le pavement. Le choix de cette couleur, notamment pour la bordure extérieure de la mosaïque, est probablement la signature d’un atelier de mosaïstes installé dans la capitale. Unique dans le monde romain, cette caractéristique se rencontre sur une dizaine de sols, tous datés entre le début du 2e et le début du 3e siècle, mis au jour à Aventicum ainsi que dans quelques villas situées à proximité de l’agglomération, dont celle de Vallon (FR).
Vers un nouveau musée
Dans la perspective d’un nouveau musée romain à Avenches, les SMRA ont initié un grand chantier pour la conservation-restauration des collections. Dans ce cadre, le travail fait sur les mosaïques est entièrement soutenu par l’Association Pro Aventico. La mosaïque Jaune, dont le décor est relativement bien conservé, fait partie des mosaïques qui prendront place dans un nouveau musée. La restauration permettra de restituer une moitié du pavement qui sera installée sur des panneaux emboitables. Lorsque la restauration de cette mosaïque sera terminée, sept autres, dont la mosaïque des Vents, la banquette des thermes de l’insula 23 ou encore la mosaïque des Saisons, suivront le même chemin et s’offriront une beauté afin d’être enfin admirées du grand public !
La restauration
La restauration de la mosaïque Jaune, en cours actuellement, a débuté en automne 2022. Elle devrait être terminée dans le courant de l’année prochaine. Voici les étapes principales qui ont été effectuées jusqu’à aujourd’hui.
La première étape, indispensable pour effectuer un travail scientifique, a été de réaliser des orthophotographies de chaque fragment et de traiter les images au moyen d’un logiciel permettant de géoréférencer les panneaux dans l’espace. De cette manière, une comparaison entre l’agencement des motifs de la mosaïque et le dessin de restitution de Serge Rebetez a pu être établie, offrant la possibilité de vérifier les hypothèses du chercheur et d’affiner le montage des panneaux.
Une fois les ajustements effectués dans le logiciel Qgis, calant ainsi les fragments de mosaïques sur le dessin de restitution, la phase de création des plans des panneaux a pu débuter. Chaque panneau regroupe plusieurs fragments, tout en essayant de produire des éléments qui restent maniables et qui ne soient pas trop lourds.
Entre-temps, chaque fragment a subi une dérestauration consistant à retirer les supports sur lesquels ils reposaient depuis les années 1980, supports composés d’un matériau (carton) qui s’est beaucoup dilaté au cours du temps en absorbant l’humidité de l’air. Après avoir enlevé l’ancien support, un mortier réversible à base de chaux a été créé, sur lequel un nouveau support en aluminium, très léger et durable, a été installé.
Actuellement, chaque fragment de mosaïque a été collé sur un panneau en nid d’abeilles de 10 mm d’épaisseur et sera ensuite posé sur de plus grands panneaux, toujours en nid d’abeilles, de 25 mm d’épaisseur dont les bords auront été aménagés pour pouvoir être emboités. En tout, cinq grands panneaux restitueront la moitié du pavement d’origine.
Les prochaines étapes consisteront à construire des caisses sur mesure pour transporter et stocker les cinq panneaux. La pose d’un mortier définitif, avec dessin du schéma géométrique de la mosaïque, n’interviendra que le lorsque le futur musée sera construit et que la muséographie sera connue.
Légendes des illustrations
Fig. 1 : Positionnement des fragments restaurés de la mosaïque Jaune.
Fig. 2 : A l’aide d’un logiciel spécial, les orthophotos de chaque fragment conservé de la mosaïque Jaune ont été alignées sur le dessin de reconstitution réalisé par Serge Rebetez.
Fig. 3 : Fragment de la mosaïque Jaune en cours de restauration par Noam Storrer (service civil) et Francesco Valenti (conservateur-restaurateur).
Fig. 4 : Fragment de la mosaïque Jaune en cours de restauration par Francesco Valenti (conservateur-restaurateur).
Fig. 5 : Fragment de la mosaïque Jaune en cours de restauration par Francesco Valenti (conservateur-restaurateur).
Fig. 6 : Fragment de la mosaïque Jaune en cours de restauration par Francesco Valenti et Slobodan Bigović † (conservateurs-restaurateurs).